Un médicament détourné
A l’origine, l’absinthe est considérée comme un médicament réalisé à partir d’une infusion de plusieurs plantes. On lui reconnait des vertus diurétiques.
Elle aurait été inventée par un médecin français installé en Suisse vers 1760.
Son berceau historique est situé dans le Val-de-Travers, au cœur du canton de Neuchâtel. 1797, Daniel-Henri Dubied et son futur gendre, Henri-Louis Pernod, rachètent la recette de l’absinthe et créent la première distillerie industrielle à Couvet dans le Val-de-Travers. Il faut attendre les guerres coloniales pour que l’absinthe se popularise; l’armée française en distribue aux soldats pour les protéger de différents maux et leur donner courage. Petit à petit, l’absinthe devient la boisson du peuple. La clé de son succès? Moins cher que le vin et la bière, elle apporte autant d’ivresse en ces temps de crise sociale.
Une boisson prohibée
En 1910 en Suisse et en 1915 en France, cette boisson est interdite. Il faut dire qu’on l’accuse de tous les maux : l’absinthe à la réputation de rendre fou en raison de la présence d’un neurotrope, la molécule de thuyone, souvent comparée au THC, présent dans le cannabis. Avec du recul, plusieurs études scientifiques ont montré que la dite molécule ne pouvait être à l’origine des comportements de folie qu’on lui incombait. Il aurait fallu consommer 70 verres d’absinthe par jour, pendant plusieurs jours consécutifs, pour que la thuyone ait réellement un effet néfaste sur l’organisme. Ici, Il est plus question d’un problème de santé publique, l’alcoolisme; et comme les lobbies des producteurs de vins et de bières sont bien plus puissants, l’absinthe devient la boisson à abattre. Bien que censée s’arrêter, la production suisse se poursuit clandestinement. Une sorte de « gentlemen agreement » se met en place entre les distillateurs du Val-de-Travers et l’État. Mais les quantités sont faibles : avant la prohibition, on compte 2 millions de litres. Ensuite, il ne s’en vend plus que 500 000 litres au marché noir. En France, la production s’arrête totalement! Après 1918-1920, l’absinthe a déserté l’Hexagone.
Affiche de Frédéric Christol imprimée en France en 1910.
«Omnibus pour Charenton ! Avec correspondance par l’alcool ou directement avec l’absinthe.»
Une renaissance
Quelques décennies plus tard, des producteurs peu scrupuleux venus des pays de l’Est , lancent des boissons n’ayant d’absinthe que le nom.
Un goût anisé trop prononcé, des couleurs farfelues, un marketing agressif , voilà le trio négatif qui catalogue l’absinthe en boisson « cheap »!
Ce n’est que depuis 2005 en Suisse, et en 2011 en France que l’absinthe a de nouveau le droit d’être vendue sous ce nom seul.
Pour bénéficier de cette appellation mythique, les producteurs suisses respectent un cahier des charges bien épais (pas plus de 35mg de thuyone par kilo, par exemple). Une IGP (Indication Géographique Protégée) devrait bientôt voir le jour.
(Texte de Leslie Gogois et Yves Kübler arrière arrière petit fils d’un propriétaire de distillerie d’absinthe)
Rituel de l’absinthe, son Verre spécifique à dose et sa Pelle à absinthe
La fenchone
La France, par le décret du 2 novembre 1988, autorisait à nouveau l’absinthe mais limitait la fenchone (une des molécules importantes de l’huile essentielle de fenouil) dont le taux ne devait pas dépasser 5 mg/l (nb: le taux de fenchone n’a jamais été limité en Suisse).
Certaines absinthes du Val-de-Travers, dites « suisses » au XIXe siècle, ne pouvaient pas être vendues en France pour cette raison : les graines de fenouil [utilisées en] suisse contiennent beaucoup plus de fenchone que le fenouil du sud de la France, avec lesquelles sont produites les absinthes françaises. [Il peut s’agir de « cultivar », sortes de fenouils sélectionnés pour leur faible taux en fenchone. Mais il est plus vraisemblable que les distillateurs français utilisent 4 à 5 fois moins de fenouil dans leurs absinthes que les Suisses et autres producteurs d’absinthe en Europe…].
Un décret français du 11 mars 2010, a totalement annulé cette limitation mettant les distillateurs suisses et français sur un pied d’égalité.